Attendu qu’une lettre construit dans la durée une correspondance, c’est à dire une relation complète au sein de laquelle le facteur de l’attente joue un rôle certain dans la qualité de la jouissance ;
attendu que le courriel, par son style télégraphique, discourtois et lapidaire, tuera jusqu’au dernier épistolier ancien régime ;
attendu que le courrier prend son temps quand le courriel agit dans son temps ; attendu que même César Pavese n’a pas osé parler de sa souffrance d’éjaculateur précoce alors que tout son journal (magnifique, Le métier de vivre) ne parle que de ça sans employer le mot ;
attendu que dans la littérature assez misogyne des Hussards les jeunes héros se doivent d’être précoces fut-ce en matière d’émission ;
attendu que dans sa Vie de Rancé notre bon vieux Chateaubriand rappelle que chez les mystiques, le terme d’”éjaculation” représentait la plus haute forme de prière ;
attendu que l’homo houellecbecquus est un branleur vite satisfait quand il n’est pas un impuissant ; attendu que les néologismes “éjaculat” et “épistolat” sonnent bien ensemble ;
attendu qu’il n’est pas incongru de juxtaposer et mettre en correspondance les deux formes de transmission, épistolaire et sexuelle, étant admis que la même panne les affecte ;
il s’avère donc que les nouveaux moyens de communication favorisent la frustration des éjaculations précoces.
C’est tout le sens de la stimulante contribution de Jacques Lecarme, professeur émérite de littérature à Paris III, au numéro spécial de la revue de médiologie Médium (250 pages, 10 euros), le numérique en toutes lettres, une livraison particulièrement riche sur le thème “Ceci fécondera cela”.
jemrobe