Extrait concernant l’analyse des risques et avantages tiré du rapport PDF sur les nanotechnologies que vous avez bien sûr téléchargé mais peut être pas tout lu...
On observe déjà une lutte de communication assez stérile entre les promoteurs et les critiques des nanotechnologies.
D’un côté, certains vantent en termes hyperboliques les bienfaits pour l'humanité de la révolution scientifique et technique en cours.
Le rapport américain de la National Science Foundation (NSF) qui a lancé le programme nano sous le titre "Converging Technologies for Improving Human Performances" (2002), bat sans doute tous les records.
Il ne promet pas moins à terme que l'unification des sciences et des techniques, le bien-être matériel et spirituel universel, la paix mondiale, l'interaction pacifique et mutuellement avantageuse entre les humains et les machines intelligentes, la disparition complète des obstacles à la communication généralisée, en particulier ceux qui résultent de la diversité des langues, etc.
Cependant, les chercheurs du terrain sont assez lucides pour comprendre ceci.
À trop vanter les conséquences positives "fabuleuses" de la révolution en cours, on s'expose à ce que des critiques non moins hypertrophiées s'efforcent de la tuer dans l'œuf.
Le risque le plus souvent évoqué par les critiques, et qui a déjà été mis en scène par la littérature et bientôt le cinéma, est celui d'une auto-réplication sauvage de nano-robots à la suite d'un accident de programmation ou d'un acte terroriste. Tout ou partie de la biosphère serait alors détruite par épuisement du carbone nécessaire à l'auto-reproduction des nanoengins en question.
La possibilité de tels nano-robots a été envisagée par Eric Drexler, le créateur du concept de nanotechnologie et le fondateur du Foresight Institute.
Drexler luimême est quelque peu revenu sur ses positions dans un article de juin 2004 intitulé « Safe exponential manufacturing ».
En tout état de cause, ce risque ne peut vraiment effrayer que celui qui croit à la possibilité de telles machines. Il suffit de nier cette possibilité pour écarter le pseudo-risque d'un haussement d'épaules.
Oscillant entre de tels extrêmes, le débat sur les risques du programme nanotechnologique est mal engagé. À mettre sur les plateaux d'une même balance des coûts et des avantages énormes et très mal définis, l'évaluation normative est condamnée à l'indécidabilité.
Avant de déplacer la problématique, il convient de noter cependant ce qui singularise les technologies émergentes par rapport à la question de la prudence, et qui nous permet de parler de risques d’un nouveau genre.
La critique classique des dérives de la technique consiste à déplorer que le rêve de Descartes – "se rendre comme maître et possesseur de la nature" –, ou bien l’ambition « prométhéenne » de l’homme, ait mal tourné. Il serait urgent d'en revenir à la "maîtrise de la maîtrise".
On peut penser que cette critique manque ici l’essentiel. La visée imaginaire qui sous-tend le programme nanobiotechnologique, en particulier, est l'ingéniérie, puis à terme, la fabrication de la vie.
Et celui qui veut fabriquer de la vie ne peut pas ne pas vouloir reproduire sa capacité essentielle, qui est de créer à son tour du radicalement nouveau.
Comme déjà l’avait prévu John von Neumann, dans sa réflexion de 1948 sur les automates auto-reproducteurs, l'ingénieur de demain sera au moins autant un explorateur et un expérimentateur qu'un réalisateur. Ses succès se mesureront au moins autant à l'aune de créations qui le surprendront lui-même que par la conformité de ses réalisations à des cahiers des charges préétablis.
Des disciplines comme la vie artificielle, les algorithmes génétiques, la robotique, l'intelligence artificielle distribuée répondent déjà à ce schéma. C’est dans cette perspective, qui tend à effacer les distinctions classiques entre la science et la technique, la découverte et l’invention, le scientifique et l’ingénieur, que la question des risques doit être replacée.
Les médias grand public sont venus à la considérations des grands risques scientifiques par les biotechnologies et leur cohorte de conflits (moratoire sur les organismes génétiquement modifiés, positions des conseils d’éthique sur la recherche dans le domaine des cellules souches en particulier).
Contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis et dans certains pays de l’Europe du Nord, les nanotechnologies ne font pas encore partie en France des sujets de vulgarisation pour le grand public. Les commentaires proviennent essentiellement des analystes observateurs de la vie économique, sous l’angle de la compétitivité et du positionnement des acteurs.
Mais cette situation est amenée à évoluer très rapidement. Les grands acteurs du programme nanotechnologique doivent être prêts, ce qui implique qu’ils organisent sans tarder des espaces de débats et de discussion, selon une méthodologie et des règles qui restent pour l’essentiel à inventer.